La question des « Banyamulenge » a toujours suscité des débats passionnés en RDC. Il faut que les Congolais et la Communauté internationale comprennent une chose : ceux qu’on appelle « Banyamulenge » sont des Tutsis rwandais arrivés au Congo suite à la Révolution sociale hutue qui a conduit à la chute de la monarchie tutsie au Rwanda, en 1959. Ces exilés tutsis, qui ont été installés par le HCR sur le site de Mulenge dont ils emprunteront le nom plus tard, n’ont rien à voir avec les Rwandophones arrivés au Congo dans les années 1930 dans le cadre de la Mission d’Immigration de Banyarwanda (MIB), mouvement de transplantation des Rwandophones vers le Congo impulsé par les autorités coloniales belges qui avaient besoin d’une main d’oeuvre dans les plantations européennes et les mines du Katanga. Cette distinction est très importante. Pourquoi ?
Parce que les Rwandophones arrivés dans le cadre de la MIB et ceux arrivés au début des années 1960 (donc les « Banyamulenge ») n’avaient pas les mêmes objectifs. Les premiers n’avaient pas d’ambitions politiques et n’ont pas eu du mal à s’intégrer dans la communauté congolaise, alors que les seconds ont toujours caressé le rêve de reconquérir le pouvoir perdu au Rwanda. Dans cette optique, le Congo, comme les autres pays de la région où ils ont obtenu l’asile, devait servir de base arrière à leur projet de reconquête.
C’est en connaissance de cause que le HCR leur demanda de ne pas se mêler de politique au Congo : « Vous avez obtenu asile au Congo à condition que vous ne vous occupiez en aucune façon de politique. Si quelqu’un vient solliciter votre appui, vous devez répondre qu’en tant qu’étrangers, réfugiés et hôtes de la République du Congo, vous ne pouvez pas, vous ne devez pas prendre part à quelque mouvement politique que ce soit. Restez calmes. Travaillez, comme vous l’avez fait jusqu’à présent en suivant les conseils de votre agronome. Que chacun reste à son poste, mais surtout restez en dehors de toute politique. »
Cette note laisse penser que les autorités du HCR étaient bien conscientes des velléités tutsies à cette époque. Dès octobre 1990, de nombreux « Banyamulenge » basés au Zaïre ont envoyé leurs enfants soutenir l’Armée patriotique rwandaise (APR) qui venait d’attaquer le Rwanda. Les plus riches d’entre eux ont financé l’aventure militaire de la rébellion tutsie. En juillet 1994, lorsque le FPR de Kagame s’est emparé du pouvoir à Kigali, de nombreux « Banyamulenge » travaillant dans les institutions zaïroises ont traversé la frontière pour rejoindre les nouveaux dirigeants du Rwanda, à la grande surprise des Zaïrois qui les considéraient comme leurs compatriotes. Parmi les « Banyamulenge » qui se sont retrouvés du jour au lendemain au service du FPR, il y a par exemple Nyumbahire de la Banque du Rwanda, qui a été le secrétaire général de la société AFRIMA et le délégué général-adjoint de l’Union zaïroise des banques; il y a aussi Rwigamba, le directeur de la Banque de la CEPGL (communauté économique des pays des Grands Lacs), qui a occupé au Zaïre la fonction de directeur général de la Société Financière de Développement (SOFIDE). Pour ne citer que ces deux là…
Mais les « Banyamulenge » ne se contenteront plus seulement du pouvoir qu’ils ont réussi à reconquérir au Rwanda. Avec leurs frères du FPR, ils viseront désormais plus grand, établir dans la région des Grands Lacs une sorte de « Tutsiland », lequel engloberait le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et… une partie du Kivu. À ce propos, voici ce que dit l’ancien assistant spécial du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Rwanda en 1994, Gilbert Ngijol : « L’occupation des villes et localités des provinces zaïroises du Haut-Zaïre, du sud Kivu et de tout le Zaïre par les “Banyamulenge” n’était pas le fait d’un hasard. C’était le résultat d’une action concertée, suite logique d’un processus visant dans un premier temps à étendre l’espace vital de l’Ouganda et surtout du Rwanda et du Burundi, dans la perspective peut-être, d’une éventuelle création de cet État tutsi de la région de volcans… » Et de souligner : « La succession des événements dans les pays de la région des Grands Lacs montre aujourd’hui que ce projet auparavant utopique et invraisemblable, pourrait devenir une réalité car au fait, sa réalisation avait effectivement commencé avec la prise du pouvoir en Ouganda par un Hima en la personne du président Museveni. Elle continua au Rwanda avec la prise du pouvoir par le FPR, le parti politique armé tutsi. Quant au Burundi, son armée, instrument privilégié du pouvoir, a toujours été dominée par la minorité tutsie depuis la décolonisation. »
Pour la petite histoire, Paul Kagame lui-même n’a jamais fait mystère de ses intentions. Au moment où il amorce la phase finale de la conquête du pouvoir en 1994, il confie au commandant de la mission de l’ONU au Rwanda, le général Dallaire que « le FPR allait imposer une hégémonie tutsie sur la région des Grands Lacs. »
Dieu merci, les pays impliqués dans ce projet macabre sont aujourd’hui à couteaux tirés. Mais les Congolais devraient redoubler de vigilance car les « Banyamulenge », eux, n’ont pas encore dit leur dernier mot. Pour faire triompher leur cause, ils ont fait appel à Me Bernard Maingain, l’avocat belge du gouvernement rwandais. Drôle de coïncidence diront certains…
Pour le reste, vous remarquez par ailleurs que les «Banyamulenge» sont les seuls, parmi toutes les populations rwandophones présentes sur le sol congolais, à avoir pris les armes contre le Congo et à exiger une partie du territoire national, tout en se faisant passer pour des autochtones. S’agissant de la question de la nationalité des «Banyamulenge» et d’autres Rwandophones présents au Congo, j’y reviendrai…
Par: Patrick Mbeko