Chronique de Mbeko: Comprendre la méfiance des Congolais à l’égard du Rwandophone John Kanyoni Nsana

La présence des Rwandais ou des Congolais Rwandophones dans les institutions civiles et militaires de la RD Congo provoque toujours des réactions véhémentes. Hier, une information a circulé sur les réseaux sociaux à l’effet qu’un homme d’affaires rwandais figurerait dans la délégation officielle qui accompagne Félix Tshisekedi aux États-Unis. Son nom : John Kanyoni Nsana. La polémique n’a cessé d’enfler depuis… « Le pays est infiltré jusqu’au sommet », pouvait-on lire ici et là.

Mais qui est John Kanyoni Nsana?

Selon Jean-Jacques Wondo, à l’origine, semble-t-il, de la polémique, Monsieur Kanyoni serait le neveu du président rwandais Paul Kagame. «L’homme a ses tentacules dans plusieurs activités minières à l’est de la RDC. DESC connaît ses liens biologiques avec le Rwanda», a-t-il affirmé. Des affirmations que rejettent certains compatriotes du Kivu (surtout ceux qui ont de la famille ou des proches de l’autre côté de la frontière) qui affirment que John Kanyoni Nsana est bel et bien Congolais. Pour appuyer leur propos, ils brandissent le fait que M. Kanyoni soit né et ait passé toute sa vie au Congo.

Contacté par de nombreux compatriotes à ce propos, je dois dire que je ne suis pas en mesure de confirmer l’information avancée par Jean-Jacques Wondo à l’effet que l’homme d’affaires serait le neveu de Kagame. En revanche, il m’a été rapporté, en 2014, que John Kanyoni Nsana, qui est né au Kivu et a fait une partie de ses études dans la province de l’Équateur, serait de la même famille que le Tutsi Laurent Nkundabatware. Il a été membre du RCD-Goma, « rébellion » fabriquée de toute pièce à Kigali pour déstabiliser le Congo, tuer les Congolais et piller les ressources naturelles du pays.

John Kanyoni Nsana est un Rwandophone. Le fait de naître et de grandir au Congo ne l’absout pas de tout questionnement sur ses supposées accointances avec le Rwanda. Les Congolais ont légitimement le droit de se montrer prudents, voire suspicieux envers certains Rwandophones vivant en RDC. Surtout quand on sait que toutes les guerres d’agression menées par le Rwanda contre le Congo ont été facilitées ou ont bénéficié du soutien des Rwandophones congolais.

Jouissant des mêmes droits et privilèges que les nationaux congolais (zaïrois à l’époque), les Rwandophones du Congo vont servir de 5è colonne aux forces rwandaises qui envahiront le Congo-Zaïre en 1996 avec la bénédiction des États-Unis. Lorsque la deuxième guerre éclate en août 1998, les autorités congolaises sont surprises de voir leurs collaborateurs « congolais » rwandophones rejoindre le camp des agresseurs rwandais. «Nous ne voulons pas utiliser de grands mots pour décrire notre déception», déclare alors le président Laurent-Désiré Kabila. Le ministre de l’Information Didier Mumengi a bien résumé le sentiment général qui habitait la classe politique et la population congolaises face à la trahison de ces gens que l’on croyait Congolais dans l’âme. «L’hospitalité que le Congo a toujours réservée aux ressortissants étrangers et aux Rwandais en particulier mérite-t-elle une si tragique trahison ? » s’était-il interrogé. Et d’ajouter, dépité : « Plus qu’une surprise, ce fut une terrible déception, surtout dans le cas de notre collègue Bizima Karaha auquel nous faisions totalement confiance.»

Or c’est dans la rébellion du RCD-Goma dirigée par Paul Kagame via Bizima Karaha que l’on retrouve John Kanyoni Nsana. Il a siégé au Parlement de transition comme député RCD-Goma et a fait partie des huit parlementaires frondeurs de ce parti qui réclamaient la requalification de la transition 1+4, en juillet 2004.

M. Kanyoni a été (et l’est peut-être encore ?) très proche de la bande à Bizima Karaha, Emanuel Kamanzi, Bijos Ntaganda, Apollinaire Kalera et tant d’autres Rwandophones ou Rwandais proches de Kigali. Les Congolais ont légitimement le droit de se poser des questions sur ce monsieur en dépit du fait qu’il ait vu le jour et ait grandi au Congo. Le problème ici n’est pas tant sa nationalité, mais bien sa loyauté envers la RD Congo. En juillet 1994 déjà, après la prise de Kigali par les forces de l’Armée patriotique rwandaise (APR) de Paul Kagame, de nombreux Rwandophones « congolais », responsables dans l’administration publique congolaise, avaient brusquement quitté le pays pour devenir de hauts responsables dans la nouvelle administration publique et dans le gouvernement du FPR. C’est à ce moment-là que les autorités zaïro-congolaises ont pris la mesure de la menace qui pesait sur le pays à partir du Rwanda.

Le sentiment d’être poignardé dans le dos par les Rwandophones ayant vécu au Congo est encore très vif aujourd’hui en RDC. On ne peut donc pas reprocher aux Congolais d’être méfiants à l’égard tous ces gens qui sont Congolais le jour et Rwandais la nuit. Comment faire confiance à des gens qui ont propagé la mort et la désolation dans votre pays sans aucune raison valable ? Les Congolais n’ont jamais pris part au génocide au Rwanda pour être massacrés gratuitement comme des mouches par des hordes de tueurs rwandais aidés par leurs frères vivant au Congo.

Par ailleurs le prétexte sécuritaire souvent brandi par Kigali pour justifier sa politique du pire en RDC ne résiste pas à l’épreuve des faits et de la vérité. À ce propos, la journaliste Colette Braeckman, qui est très proche du FPR, fait observer : « C’est un argument de sécurité incontestable qui a nourri le double projet du Rwanda : s’assurer un levier sur le pouvoir en place à Kinshasa par l’intermédiaire d’hommes ayant la confiance de Kagame, et occuper durablement le Kivu, s’en servir d’exutoire démographique et de réserve économique. »

Félix Tshisekedi et John Kanyoni savent peut-être de quoi on parle ici…

À bon entendeur…

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