« Ici, c’est une maison de Buganda », explique un proche du commerçant. Portail et murs imposants à quelques centaines de mètres du quartier général de la Monusco, cette propriété comme ses voisines répond aux standards de sécurité et de vie exigés par les Nations unies. « Ce sont des gens de la Monusco qui y habitent. Vous voyez, c’est très bien », poursuit ce proche du commerçant.
Un peu plus loin : deux autres maisons de Bagalwa Buganda. Une seule est occupée, par une ONG américaine, l’American Refugee Committee (ARC). Le portail est d’ailleurs aux couleurs de l’organisation. Un employé de l’ONG confirme le nom du propriétaire : « Il s’appelle Bagalwa Buganda, on n’a aucun problème avec lui, il est très gentil. »
Ce commerçant posséderait pas moins d’une vingtaine de maisons dans le centre de Bukavu. En 2014, il a même racheté, avenue du Plateau, toujours dans le centre-ville, le bureau de l’UNOPS, une agence des Nations unies, pour plus de 400 000 dollars. Il n’a jamais changé le contrat de location et l’a laissé au nom de l’ancien propriétaire.
Interrogé par RFI, l’UNOPS avait déclaré ne pas être informé de l’identité de son véritable propriétaire, mais avait promis d’agir sans délai. L’agence onusienne a depuis déménagé son bureau à Bukavu. L’ARC, de son côté, avait dit avoir besoin de plus d’informations avant de prendre des mesures.
Trafic d’or en lien avec les FDLR
Bagalwa Buganda habite le même quartier dans une maison à plusieurs étages. L’un de ses employés montre la bâtisse d’un geste de la main. « C’est la maison de Buganda, si vous cherchez de l’or, c’est là », s’amuse-t-il, insistant sur le fait que son patron est « très très riche ». L’employé poursuit ses confidences : « Maintenant, il n’est pas là. Il est sur la route, en train de rentrer de Bujumbura. » Le commerçant se rendrait chaque matin au Burundi et ne rentrerait que le soir. Et pourtant, selon le registre de la division des mines de la province du Sud-Kivu, Bagalwa Buganda est négociant et non exportateur.
Dans les rues entourant le quartier général de la Monusco, il y a également des immeubles. L’un d’eux appartient à l’autre commerçant sur lequel RFI a enquêté : « Papa » Manghe Namuhanda. Ce bâtiment servait de bureau jusqu’à ces derniers mois à International Medical Corps, une ONG américaine. « Ils payaient 6 200 dollars par mois, je vais vous montrer les papiers », dit un proche de Manghe Namuhanda. Interrogé par RFI, IMC dit prendre cette information très au sérieux. L’antenne locale de l’ONG américaine a promis de se montrer plus vigilante à l’avenir.
Manghe Namuhanda posséderait plus d’une dizaine de maisons dans le centre de Bukavu. Il n’a officiellement rien à voir avec une quelconque activité minière. Selon le registre de la division provinciale des mines, il n’est ni négociant, ni exportateur. Et pourtant, selon des témoins, d’étranges activités se dérouleraient à son domicile. Photos à l’appui, l’un d’eux explique qu’il détiendrait des fours modernes dans ses sous-sols qui transformeraient l’or en lingots.
La société civile indignée
Les informations recueillies par RFI vont dans le sens des allégations émises par les groupes d’experts successifs de l’ONU. Depuis 2009, Bagalwa Buganda et Manghe Namuhanda sont accusés de faire partie d’un réseau de trafiquants exploitant et exportant de l’or extrait de zones occupées, notamment par les FDLR. Dans les rapports de 2012 et de 2014, les deux hommes sont à nouveau nominativement mentionnés et présentés comme les plus gros commerçants impliqués dans ce trafic.
Cette situation révolte la société civile du Sud-Kivu, qui appelle l’ONU et les ONG à se montrer vigilantes. « Il est important que ce secteur soit surveillé », dit le président du bureau de coordination de la société civile du Sud-Kivu. Descartes Mponge estime que des représentants de la communauté internationale ne devraient pas occuper une maison construite sur la base « d’une violation des droits de l’homme, d’une corruption ou d’une fraude ».
S’il admet que beaucoup de maisons qui existent aujourd’hui dans les provinces minières sont le fruit de l’exploitation illégale des ressources, il tient également à souligner qu’il existe un commerce licite et que la communauté internationale ne devrait pas indirectement soutenir ceux qui ont des pratiques que la société civile tente de combattre. « Si on fait une rapide estimation, on réalise que ce sont des millions de dollars qui sont blanchis rien qu’au Sud-Kivu », explique Descartes Mponge.
Aucune politique globale
Selon des sources internes à la mission onusienne, seule la Monusco se montrerait vigilante sur l’identité des propriétaires des bureaux qu’elle occupe. « Mais ils utilisent souvent des intermédiaires et on a parfois des surprises », explique l’une de ces sources. Mais après dix-sept ans de présence sur le sol congolais, la mission onusienne n’a pas de politique globale en la matière. Aucun mécanisme n’est par exemple mis en place pour les milliers de maisons louées par son personnel. Les contrats sont signés par les employés eux-mêmes et la mission se contente de vérifier qu’elle répond à certains standards, et notamment sécuritaires.
Pour ce qui est de la communauté humanitaire, pas plus de réflexion. « A Goma, on évitait de louer les maisons de Bosco Ntaganda (ex-général de l’armée congolaise et chef de guerre aujourd’hui poursuivi par la Cour pénale internationale, NDLR). Mais c’est à peu près tout », explique l’un d’eux. « Il est étonnant que l’on demande aux entreprises de faire attention à l’origine des composants qu’elles utilisent, mais que pour les organisations internationales, il n’y ait même pas le début d’une réflexion sur une politique globale pour éviter de financer des acteurs clairement identifiés comme ayant un rôle actif dans le conflit et blanchissant leur argent », admet, non sans indignation, un officiel onusien.
Source: RFI, Publié le 10-02-2016