Tribune_Sud-Kivu: Une conférence sur la paix au sud du Sud-Kivu s’impose 

Les territoires des Fizi, Mwenga et Uvira sont actuellement secoués par une terrible insécurité qui affecte le quotidien de la population. Yves Malipo Kabiona, décrit la situation, analyse les échecs des processus de médiation et propose la convocation d’une conférence sur la paix, la sécurité et le développement au sud du Sud-Kivu.

Galère et humiliations, le lot quotidien de la population

[br] La situation sécuritaire s’est détériorée depuis des années dans les territoires des Fizi, Mwenga et Uvira. C’est, d’ailleurs, le principal défi qui doit être relevé le plus urgemment possible. Dans ces arènes, les luttes présentent plusieurs facettes : conflit foncier, rixe, bagarres rangées entre villageois, vengeance, etc. Quel que soit le vocabulaire choisi pour désigner la situation, il sied de noter que le bilan est troublant. En ce moment, plus de 20 mille personnes sont déracinées de leur habituel cadre de vie. Derrière elles, maisons calcinées, bétails pillés ou brochetés sur place, champs dévastés, les récoltes réduites en cendres. Très bientôt, la kwashiorkor fera son œuvre. Elle décimera silencieusement d’abord de petits enfants, déjà ventrus et joufflus, ensuite des vieillards et enfin des adultes, et cela, les uns après les autres.

Dans certains coins, les conflits n’opposent pas nécessairement deux communautés. Pourtant, la population vit la peur au ventre. Dans la plaine de la Ruzizi, des hommes mains armées se comportent en territoire conquis. Ils incendient des véhicules, kidnappent des pauvres commerçants et exigent la rançon. Ils ont même instauré le système colonial de chicotte. Ils n’hésitent pas à rouer les coups à leurs otages. Pire encore, ils profanent les organes intimes des femmes. Celles qui, par chance, ne sont pas collectivement violées et mutilées sont tout simplement déshabillées au vu et au su de tout le monde et relâchées dans la nature.

Cet état de fait n’est pas sans dégâts. Les hommes fuient les villages, les femmes ne vont plus aux champs, les enfants hésitent à aller à l’école. L’axe Uvira-Plaine-Bukavu est boycotté en faveur du tronçon Uvira-Bujumbura-Rua-Bukavu. Cette bifurcation impacte certainement le coup du transport. La population est sous le choc. Les autorités ne l’ont pas encore remarqué ou ils feignent de l’ignorer. Uvira, en particulier, se vide peu à peu de sa population qui cherche les meilleures conditions de vie au Burundi. Cet « exode-patrie » croît du jour au lendemain. Et, les officiels burundais s’en plaignent d’autant plus que la plupart s’installent illégalement au Burundi. En décembre 2018, un des mes amis, cadre du CNDD-FDD, m’a confié ceci : « Nos services ont compté plus de mille familles uniquement dans la zone Ngagara. Je ne cite pas Gatumba, Kajaga et Kamenge. La plupart n’ont même pas de visas »

Les raisons de l’inefficacité des interventions en faveur de la paix

Certes. Il n’existe pas de conflits inutiles. Les uns en pâtissent les autres y tirent des dividendes colossaux. Les interventions antérieures à Uvira, Fizi et Mwenga n’ont pas produit des effets escomptés. La situation n’a pas changé d’un seul iota. A l’inverse, elle s’empire à tout bout de champ. Le format des interventions n’était pas très judicieux.  Il se dégage, au regard de diagnostic des méthodes préconisées dans le passé, deux tendances. D’un côté, l’imposition de la cohabitation par la sujétion, de gré ou de force, des pans entiers de la population. Ces interventions militaires ont tourné au fiasco. Elles n’ont fait qu’exacerber les tensions et radicaliser les positions des uns et des autres. Il faut noter que la plupart des éléments des FARDC, affectés à cette tâche, sont issus de la communauté tutsi. Aussi leurs comportements sont-ils méticuleusement scrutés et n’inspirent-ils pas confiance à d’autres communautés, notamment Banyindu, Babembe, Bafuliiru et Bavira.

D’un autre côté, la méthode soft consistait à mettre les frères ennemis sur la même table de négociation. La Monusco, les ONG, les autorités civiles ont à ce niveau taper à côté de la plaque. En effet, ils organisaient de munis réunions aux villages ou dans des salles de conférence au cours desquelles ils conviaient uniquement des « notables ». Le mot notable a été dénaturé. Des politiciens, pourtant honnis par les peuples, s’affublent du costume de notable alors qu’ils n’ont aucune influence sur l’hypothétique groupe représenté. Pour montrer qu’ils valent quelque chose, ils provoquent des conflits et offrent leurs bons offices pour une accalmie éphémère et illusoire. Ainsi tourne ce business juteux. Les ONG ne sont pas également au-dessus de tout soupçon. La population les accuse de partialité. Pourquoi les civils s’entretuent-ils ? Qui les arme ? Comment les armes sont-elles acheminées jusqu’au fond des villages en dépit des multiples barrières des FARDC ? Qui sont ces rebelles « Mai-Mai ou Gumino » ? Que veulent-ils ? Qui sont leurs parrains ? Pourquoi les parraine-t-il ? Quels sont leurs réseaux ? Sur quoi repose ce partenariat ? Voilà autant des questions de fond qui n’ont jamais sérieusement été débattues. Un forum s’avère donc nécessaire.

Format de la conférence sur la paix au sud du Sud-Kivu

 La conférence devra être organisée à Uvira pendant sept jours. Le choix des participants doit tenir compte des composantes ci-après : communautés Bafuliiru, Babembe, Banyamulenge, Banyindu, Barundi, Bavira, les groupes armés (délégation de Fizi, Mwenga et Uvira), les Gumino, la société civile de trois territoires, Monusco, délégation des FARDC, de la PNC, de l’ANR ainsi qu’une délégation de la diaspora congolaise au Burundi.

Les trois premiers jours seront consacrés à l’anatomie des conflits à travers les interventions des uns et des autres. Ensuite, les commissions thématiques travailleront pendant deux jours pour proposer les recommandations ainsi que les mécanismes de leur mise en œuvre, de suivi et d’évaluation. Ces propositions seront validées le sixième jour. L’accord qui sanctionnera la fin des travaux sera signé le septième jour. Pour clore, je propose, au préalable, la mise en place d’un comité préparatoire qui préparera les termes de référence.


Uviraonline : Yves Malipo Kabiona