Burundi: Implosion programmée

Albert Kisonga MazakalaPar Albert Kisonga Mazakala
Président de Ruwenzori Institute /
Ancien Ambassadeur de la RDC en Belgique

Le 17 janvier 2016
Le refus du Président Nkurunziza de passer la main à la fin de son deuxième mandat a exacerbé une tension latente, sans pour autant être la cause des affrontements actuels. En effet, le véritable problème du Burundi est celui du refus de la minorité tutsi d’accepter le pouvoir de la majorité hutu, fût-il obtenu par la voie d’élections libres, transparentes et honnêtes. Ce fut exactement la même situation dans le pays jumeau, le Rwanda, où avec l’aide de la Belgique, ancienne puissance tutélaire, le pouvoir monarchique tutsi fut renversé en 1959, trois ans avant l’accession du pays à l’indépendance. Des jeunes tutsi réfugiés en Ouganda finirent par constituer la « task force » de l’armée ayant porté Yoweri Museveni au pouvoir, de l’ethnie hema apparentée aux tutsi. C’est cette force conduite par le général Fred Rwigema, Vice-ministre de la Défense de l’Ouganda, qui déclencha l’invasion du Rwanda le 1er octobre 1990. Au terme d’une guerre extrêmement coûteuse en vies humaines, la petite armée rwandaise fut défaite, permettant la reprise du pouvoir par la minorité Tutsi sous la férule de Paul Kagame.

Burundi et Rwanda map carteDepuis lors, le Rwanda est devenu « une prison à ciel ouvert » aux yeux de certains. Arrivé au pouvoir avec principalement l’aide des pays anglo-saxons, le Président Kagame gouverne ce pays de main de fer, suscitant parfois quelques critiques timorées de Washington, qui n’a toutefois jamais remis en cause son soutien. L’année dernière, Human Rights Watch a publié un rapport documenté dénonçant la disparition des milliers des personnes sans émouvoir « la communauté internationale ».

Au Burundi, les hutu furent victimes d’un génocide en 1972 au cours duquel toutes leurs élites furent massacrées. Ce sont les rescapés de ce génocide, réfugiés en RDC, au Rwanda de Habyarimana et en Tanzanie, qui prirent les armes et finirent par imposer le partage du pouvoir avec ses tenants traditionnels. En effet, aussi bien au Rwanda qu’au Burundi, deux pays ayant existé avant la colonisation, le pouvoir avait toujours été exercé par les tutsi, « de droit divin ». Tutsi et hutu sont tous noirs de peau, mais à la morphologie différente : les premiers (14% de la population) sont réputés sveltes, grands de taille, nez aquilin, lèvres fines; les seconds (85%), plus petits, lèvres charnues, nez épaté. Le principe, inscrit dans la culture locale, est que les uns sont faits pour gouverner, les autres, pour servir. Toutefois, l’évangélisation et l’instruction ont permis aux hutu de contester leur servitude, à l’ère universelle de la démocratie. Aussi, c’est sous le prisme de cette lutte ethnique pour le pouvoir qu’il sied de lire les événements. Depuis longtemps, Bujumbura accuse Kigali d’aider et d’armer ses opposants. Des ONG occidentales présentes dans les camps des réfugiés burundais au Rwanda confirment. Toutefois, un certain nombre des hutu, souvent d’anciens compagnons de Nkurunziza comme le Général Nyombayiré qui conduisit le putsch avorté du mois de  mai 2015, servent de paravents aux opposants tutsi.

Au Kivu, la région congolaise voisine du Burundi et du Rwanda, on redoute un embrasement dont les conséquences déborderaient nécessairement la frontière. Dores et déjà, les populations au Sud-Kivu constatent une présence croissante des Burundais armés, sans préciser de quel camp ils appartiennent. Mais certaines informations, non démenties, indiquent que des instructeurs congolais seraient présents auprès de l’armée burundaise. Comme si l’histoire se répétait, la campagne de diabolisation contre Nkurunziza est en tous points semblable à la propagande qui précéda et accompagna les sanglants événements du Rwanda. En Belgique, les autorités sont en délicatesse avec Bujumbura, tout comme la plupart des pays occidentaux. Ces derniers, comme dans le cas syrien, ne s’embarrassent pas de détails lorsqu’ils ont choisi leur camp : il y a les bons et les méchants. Au Moyen Orient  également, l’Europe dans le sillage des USA a cru bon de prendre partie dans la guerre religieuse Sunnite-Chiite en Syrie et au Yémen.

Etant donné leur organisation supérieure et leurs appuis internationaux, les tutsi, appuyés par le Rwanda, pourraient renverser ou éliminer Nkurunziza. Toutefois, cela ne signifierait nullement la fin du conflit, les hutu ayant également appris à se défendre par les armes. Ensuite, quelle serait l’attitude des pays voisins, principalement la Tanzanie et la RDC? Le premier avait naguère aidé la guérilla hutu contre le régime tutsi de Buyoya. Le Président de la RDC, bien que faible, n’en a pas moins une dette de sang envers les FDD burundais. Ce sont eux qui, en 2001 à Pweto, lui avaient évité d’être fait prisonnier par l’armée rwandaise.

La région va s’embraser. Le plus inquiétant est que les traditionnels pompiers choisissent de soutenir les pyromanes.